Au matin de la solitude
À René Depestre
s’il t’arrivait
s’il t’arrivait encore d’en voir de toutes les couleurs
s’il t’arrivait
de trébucher dans l’herbe de ta négritude
ou de prendre racines sous la lave du temps
s’il t’arrivait de traverser à gué
l’estuaire d’une autre solitude
de fendre la pierre ponce des utopies
pour y trouver le sel d’un ultime rivage
s’il t’arrivait
s’il t’arrivait encore de voir le malheur nègre tendre son cou de girafe
dans les champs de coton
compañero de nos lointains amonts
sache qu’il te resterait
les couleurs du vent
que les poètes hissent sur leur mât de cocagne
jaune safran du rêve
piment d’octobre rouge
pour embellie d’azur
et tes mots affranchis feront l’amour aux mots
pour éprouver la bonne santé du monde.